Logo Conseil consultatif des terres

MÉMOIRE DU CONSEIL CONSULTATIF DES TERRES

Gestion des terres des Premières nations

Mémoire prébudgétaire 2012

Août 2011

Résumé

  • L’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de Premières Nations est une initiative émanant des Premières nations et qui permet à celles-ci de contrôler et de gérer les terres de réserve et leurs ressources hors du cadre de la Loi sur les Indiens.
  • Après 11 années de mise en œuvre, il s’agit de l’un des accords de gouvernement (Premières nations) à gouvernement (Canada) les plus réussis; le nombre de Premières nations participantes est passé de 13 à 56, dont 36 fonctionnent selon un code foncier et deux autres sont passées en pleine autonomie gouvernementale.
  • Les Premières nations et le Canada ont profité d’une activité économique accrue et d’une dépendance réduite à l’aide sociale dans les collectivités participantes.
  • Il a été créé dans les collectivités participantes des possibilités d’emploi pour 2 000 membres autochtones et 10 000 non-membres, ce qui représente une contribution importante à l’économie nationale.
  • Il existe une « liste d’attente » de 78 Premières nations qui souhaitent obtenir la responsabilité de leurs terres mais ne peuvent pas le faire en raison d’un manque de fonds fédéraux.
  • Nous demandons que l’engagement pris dans le budget de 2011 d’affecter un montant de 20 M$ sur deux ans soit prolongé et inclus dans les arrangements financiers pluriannuels concernant le régime de gestion des terres des Premières nations.

Le Conseil consultatif des terres des Premières nations (CCF) représente  les Premières nations qui ont signé l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de Premières Nations (l’Accord-cadre). Conclu en 1996 entre le Canada et le premier groupe de 13 Premières nations, l’Accord-cadre a été ratifié et mis en vigueur par le Canada au moyen de la Loi sur la gestion des terres des premières nations (LGTPN) en 1999. On compte actuellement 56 Premières nations signataires de l’Accord-cadre et 78 autres Premières nations ont adopté des résolutions exprimant leur volonté d’y adhérer et d’en profiter.

L’Accord-cadre est une initiative émanant des Premières nations qui offre aux Premières nations la possibilité d’assumer le contrôle de leurs terres et de leurs ressources hors du cadre de la Loi sur les Indiens. Il établit les principaux éléments du processus de gouvernance foncière sans toutefois être un traité et il n’a pas d’effet sur les droits issus de traités ou les droits constitutionnels des Premières nations. Une Première nation ne peut exercer son option d’assumer le contrôle de ses terres de réserve qu’avec l’accord des membres de la collectivité vivant sur la réserve et hors de celle-ci. Pour ce faire, une Première nation doit se doter de son propre code foncier, établir un processus de ratification communautaire et conclure un accord distinct avec le Canada.

Au cours des 11 années d’existence de l’Accord-cadre, le nombre de signataires est passé de 13 à 56, dont 34 sont entièrement fonctionnelles en vertu de leur code foncier et deux ont inscrit leur code foncier dans des accords d’autonomie gouvernementale plus larges avec le Canada. Les 20 autres Premières nations soit sont en train d’élaborer leur code foncier et d’acquérir les compétences nécessaires pour la prise en charge de la responsabilité de gouvernance de leurs terres soit ont choisi de ne pas aller plus loin pour le moment.

Les 34 collectivités qui ont choisi d’assumer une part plus grande de la gestion de leurs terres de réserve par l’entremise de l’Accord-cadre ont déjà constaté les avantages de la prise de décisions locale : activité économique accrue, dépendance réduite à l’aide sociale chez les membres et dynamisation des collectivités.

Le CCT estime depuis un certain temps déjà que les avantages sont plus grands pour les Premières nations et le Canada lorsque les collectivités ont la possibilité de prendre leurs propres décisions en matière de gouvernance foncière et de développement économique sous le régime de l’Accord-cadre. Ces avantages économiques vont des gains de productivité dans la gestion des terres à la multiplication des possibilités de développement économique et d’emploi, sur les réserves et à l’extérieur de celles-ci.

Il y a deux ans, le Centre de ressources sur la gestion des terres de Premières nations et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ont demandé à la firme KPMG de comparer les coûts et les avantages, pour le gouvernement du Canada, d’administrer les terres de réserve sous le régime de la Loi sur les Indiens aux coûts et avantages de la gestion par les Premières nations de leurs terres sous le régime de l’accord-cadre.

L’analyse de KPMG confirme, recherches à l’appui, que notre opinion sur le sujet est fondée. Voici, à titre d’exemple, quelques avantages de la gouvernance foncière en vertu de l’Accord-cadre :

  • Meilleurs rapports avec les tierces parties en raison d’une participation directe des Premières nations, plus de certitude pour les tierces parties et meilleur environnement de négociation;
  • Meilleures possibilités commerciales grâce à des communications améliorées, capacité concurrentielle, choix du moment et mise en œuvre d’instruments et meilleurs rapports avec les entreprises et les municipalités;
  • Meilleures circonstances pour attirer les affaires sur les réserves grâce à un accès direct aux représentants des Premières nations, un sens accru de la sécurité pour les investisseurs et une simplification des conditions de traitement.

L’étude de KPMG indiquait que, pour bon nombre des Premières nations opérationnelles sondées, on avait constaté une augmentation de 40 % de l’activité commerciale chez les membres de la bande, une augmentation de 45 % de la diversification commerciale des Premières nations, dont le secteur de l’approvisionnement et les entreprises dérivées. Ces Premières nations ont en outre déclaré qu’elles peuvent attirer des investissements internes et externes dans la mise en valeur de leurs terres de réserve.

L’étude a également conclu que le volume des transactions exécutées sous le régime de la Loi sur les Indiens diminue d’environ 1 % par année tandis que le volume des transactions exécutées sous le régime de l’Accord-cadre augmente en moyenne de 9 % par année. L’étude montre également que les Premières nations sont capables d’effectuer des transactions foncières plus efficacement (plus promptement et à moindre coût) que le gouvernement du Canada.

Au total, cette augmentation de l’activité économique et les retombées bénéfiques pour l’emploi contribuent au redressement de l’économie canadienne; par conséquent, toute somme investie dans le régime de l’Accord-cadre profite automatiquement à tous les Canadiens. En plus de ces avantages économiques directs, il en existe un très important qui profite au gouvernement du Canada : étant donné que la gestion et la réglementation environnementales incombent désormais aux Premières nations, en vertu de l’Accord-cadre, la responsabilité légale touchant à ces questions revient aux Premières nations.

En ce qui concerne le financement, l’engagement du gouvernement du Canada contenu dans le budget de 2011 de réaffecter jusqu’à 20 M$ au cours des deux prochaines années est bon pour le processus de l’Accord-cadre. Cela contribuera à éliminer les barrières financières à l’entrée d’environ 80 Premières nations qui ont manifesté la volonté d’exercer leur option relativement à leurs terres. Cela étant, afin de faire participer davantage de Premières nations, nous croyons que cette réaffectation devrait devenir permanente et être inscrite dans tous les accords financiers futurs et à long terme. Il importe de souligner que les Premières nations partagent les coûts du régime. Dans son étude, KPMG conclut que les Premières nations ont contribué à hauteur de 50 % aux véritables coûts de la gouvernance foncière sur les réserves. Cette participation est égalée par le Canada mais l’étude montre qu’il demeure un besoin insatisfait représentant 30 % des coûts de fonctionnement du régime. C’est ce « besoin » qui doit être satisfait, de manière permanente, pour que les terres soient gérées efficacement et qu’existe la capacité qui permettra à davantage de Premières nations d’adhérer au régime. La vérificatrice générale et KPMG ont constaté que, en l’absence de soutien permanent pour satisfaire à ce que nous avons appelé le « besoin insatisfait », il sera impossible d’augmenter le nombre de Premières nations participant à l’Accord-cadre.

Nous estimons que cet engagement de deux ans devrait être prolongé sur la durée totale de l’entente de financement et augmenté de 10 M$ par année. Nous croyons que cette augmentation abordable des crédits sur les cinq prochaines années permettrait à 60 autres Premières nations de profiter des avantages de l’Accord-cadre.

L’étude de KPMG indique également que la participation d’autres Premières nations permettrait au gouvernement du Canada de réaliser d’autres économies. Ces économies augmenteront à mesure que des Premières nations prendront à leur charge les responsabilités actuellement assumées par le MAINC. En toute logique, si on constate qu’un processus auquel participent 34 Premières nations engendre des économies, les économies seront encore plus grandes si un investissement permet de doubler et plus le nombre de signataires.

Outre KPMG, la vérificatrice générale du Canada et le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ont souligné les avantages de l’Accord-cadre. Dans son rapport de 2007 sur la participation des collectivités et des entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada, intitulé « PARTAGER LA PROSPÉRITÉ DU CANADA – UN COUP DE MAIN, PAS LA CHARITÉ », le Comité s’exprimait en ces termes :

« La Loi sur les Indiens a artificiellement gonflé le coût des affaires dans les réserves. Le régime législatif empêche souvent les forces du marché de jouer dans les « terres indiennes ». Le manque d’efficacité des systèmes de régime foncier et d’enregistrement foncier a découragé le développement économique et freiné l’apport d’investissements de l’extérieur. De plus, la lenteur et la lourdeur des processus prévus par la Loi sur lesIndiens, notamment lorsqu’il s’agit de désigner des terres à des fins commerciales, font souvent perdre des occasions d’affaires. Plus gênant encore, à cause des restrictions imposées à l’utilisation de biens immobiliers comme garantie de prêt, il est très difficile aux particuliers et aux collectivités d’obtenir du financement. Des mesures comme la Loi sur la gestion des terres des premières nations ont permis aux Premières nations participantes de se soustraire aux dispositions de la Loi sur les Indiens en matière foncière et de gérer leurs terres de façon plus concurrentielle. Les mesures recommandées visent à lever les restrictions de la Loi sur les Indiens qui entravent le développement dans les réserves :

  • Un processus national d’examen des impacts négatifs de la Loi sur les Indiens et l’élaboration de solutions opportunes communes;
  • L’élargissement du champ d’application de la Loi sur la gestion des terres des premières nations pour l’étendre à d’autres Premières nations et un financement suffisant pour les Premières nations signataires;
  • L’élaboration d’un système national d’enregistrement des terres pour les Premières nations[i]. »

Dans son rapport de l’automne 2009 au Parlement, la vérificatrice générale soulignait ceci : « Comme les Premières nations assujetties à la LGTPN peuvent consentir à une transaction foncière, cette loi devient pour elles un moyen de prendre des décisions administratives et opérationnelles et d’accélérer leurs progrès en matière de développement économique, de gestion des ressources et d’aménagement foncier. » et poursuivait en ces termes :

« Affaires indiennes et du Nord Canada devrait s’assurer que les Premières nations qui sont prêtes et qui veulent plus d’autonomie à l’égard de la gestion de leurs terres peuvent avoir accès soit au Programme de gestion des terres et de l’environnement dans les réserves, soit au régime de la Loi sur la gestion des terres des premières nations[ii]. »

Ces trois études concluent que la Loi sur les Indiens constitue un frein au développement économique sur les réserves et que la formule de l’Accord-cadre est la solution la plus appropriée dont disposent les Premières nations. Par ailleurs, ces études concluent que le régime est sous-financé de sorte que se trouve limité l’accès à un mécanisme qui profite et aux Premières nations et au Canada dans son ensemble.

Un excellent exemple des avantages que peut retirer une Première nation quand elle est en mesure de prendre de telles décisions nous est donné par la Première nation Whitecap Dakota (PNWD) en Saskatchewan. Le code foncier a permis à la PNWD d’approuver des baux commerciaux allant jusqu’à 49 ans et portant notamment sur un terrain de golf primé, un casino de calibre international et un complexe hôtelier de 25 millions de dollars. Un certain nombre d’entreprises plus modestes ont été attirées sur la réserve de la PNWD à la lumière de ces nouvelles et par la facilité de négocier des baux fonciers en vertu du code foncier. Ces projets pourraient créer 750 emplois sur la réserve, soit davantage que la population qui se chiffre à 524 personnes. Ces possibilités d’emplois sont offertes aux membres des Premières nations et aux habitants des municipalités avoisinantes.

Parallèlement à l’augmentation de l’emploi sur la réserve et dans les localités avoisinantes, on a constaté une baisse des coûts de l’aide sociale et des coûts des soins de santé dans la collectivité et une hausse des inscriptions à l’enseignement supérieur et une augmentation sensible des dépenses discrétionnaires. Un rapport produit par la PNWD en 2009 indique que le taux chômage dans la collectivité est passé de 67 % en 1993 à 8 % en 2008 et que le nombre de prestataires de l’aide sociale est passé de 87 en 1993 à 14 en 2008.

Ces améliorations peuvent être liées directement au développement économique rendu possible par la participation à l’Accord-cadre. À l’instar d’autres signataires de l’Accord-cadre, la PNWD est maintenant en mesure de profiter des possibilités de développement économique au rythme où elles se présentent (question de jours) plutôt qu’au rythme permis par la Loi sur les Indiens (question de semaines ou de mois).

Le processus fonctionne parce que les Premières nations souhaitent assumer la maîtrise de leur destinée et de leurs collectivités en gérant leurs terres. Contrairement à plusieurs initiatives fédérales passées, celle-ci fonctionne parce que les collectivités autochtones désireuses de la voir fonctionner l’ont élaborée en pensant à leurs besoins.

Il y a beaucoup d’autres cas de réussites dans différentes régions du pays. En Colombie-Britannique, la Première nation de Westbank est passée à l’étape suivante et a choisi l’autonomie gouvernementale entière. En Ontario, la Première nation de Georgina Island travaille à un projet d’éoliennes qui contribuera à réduire la dépendance aux combustibles fossiles et la Première nation de Nipissing a établi avec un partenaire externe du domaine du pavage des routes une relation de longue date qui a permis de créer des emplois et de stimuler le développement économique sur ses terres.

Dans son rapport de 2010-2011 qui sera publié sous peu, le CCT présentera d’autres cas de réussites concernant différentes Premières nations : Henvey Inlet en Ontario et Tsleil-Waututh et Tzeachten en Colombie-Britannique, où la capacité de travailler rondement avec les membres de la collectivité et avec des intervenants externes a permis d’offrir aux Premières nations des possibilités qu’elles n’avaient pas auparavant.

En participant au processus, les Premières nations ont non seulement pu reprendre la maîtrise des terres et des ressources de leurs réserves pour la première fois depuis l’adoption de la Loi sur les Indiens, il y a plus de 130 ans, mais en plus elles ont élargi leur capacité de se gouverner et ont su créer des possibilités de développement économique locales.

Aussi éloquentes soient-elles, les études mentionnées ne peuvent témoigner que des résultats des collectivités qui ont signé l’Accord-cadre. Nous vous invitons à imaginer les retombées pour le Canada si les 78 conseils de Premières nations qui souhaitent améliorer l’existence de leurs membres avaient la possibilité de signer l’Accord-cadre. Nous croyons que cela est possible; il suffirait d’inscrire au cadre financier du Canada une modeste et abordable augmentation de l’allocation à long terme au régime de gestion foncière des Premières nations.

Au final, l’Accord-cadre a montré que les collectivités des Premières nations ont la volonté et la capacité de prospérer à l’extérieur des contraintes de la Loi sur les Indiens. Ces collectivités ont montré qu’elles peuvent être plus efficientes et plus accueillantes pour les entreprises que des organismes gouvernementaux et c’est pourquoi elles ont obtenu de meilleurs résultats pour elles et pour le Canada. En investissant un peu plus dans le processus, le Canada permettra à d’autres Premières nations de se développer et d’avoir une existence autonome tout en contribuant positivement au développement du pays.

Nous espérons avoir le plaisir de vous expliquer davantage nos opinions et nos recommandations au cours des audiences que vous tiendrez à l’automne.



[i] Comité sénatorial permanent des peuples autochtones; Partager la prospérité du Canada – Un coup de main, pas la charité; Étude spéciale sur la participation des peuples et entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada; mars 2007, recommandation 5, page xx.

[ii] Automne 2009 – Rapport de la vérificatrice générale du Canada; chapitre 6, paragraphe 6.34, p. xx